Impair dans la boue Bertine : Brêve-7

Bertine défaille et ne nous dit pas tout. Ce septième billet n'augure rien de bon.

Depuis une semaine, je ne sors plus, ne lis plus, ne parle plus. J'ai sombré. Toute la journée, je reste sur la planche qui me sert de lit, à essayer de faire le vide en moi, sans vraiment y parvenir. La nuit, je prie, mes propres démons, qu'ils m'absolvent. Au matin, Luciole, que j'aime aussi pour le respect qu'elle porte à mes dérapages, m'apporte mon Chairo quotidien, sans un mot, juste un baiser sur le front, en signe d'encouragement, puis elle referme la porte, tout doucement, me laissant à mon combat.

Tout a commencé avec cette méchante envie d'explorer la mare fatale. Il faisait beau, un haut soleil, presque chaud inondait le vallon, j'étais une fois de plus arrivée par le bas, à la recherche d'indices confirmant le chemin emprunté par la victime. L'ascension, propice à la méditation, fit ressurgir en moi la vision du mont Golgotha et les dix stations menant le Christ à sa mort. Cette fiction possède une indéniable valeur symbolique ; aussi, je m'efforce d'y soumettre mon curé. Il fallait bien un fil, pour le tirer, au pas de course, jusqu'à son trépas.

La mare était belle, au milieu des arbustes dénudés par l'hiver, couverte d'une fine couche d'eau, formée par les pluies incessantes de ce début d'année. J'avais emporté une des photos de Georges, et me mis en tête de me placer à l'endroit supposé d'où elle avait été prise. La position du corps appelait une double question : comment avait-il réussi à tomber à plat pareillement et pourquoi n'avait-il pas réussi à se relever ? Il était manifestement passé entre les deux groupes d'arbustes formant accès à l'étendue boueuse. Il ne me fallut que peu de temps pour découvrir, de part et d'autre, des éraflures à la base des troncs. Il marchait encore à vive allure, une cordelette se tendit au ras du sol ; gadin inévitable, les bras en avant, emporté par son élan, il tomba face contre boue, voilà pour la première réponse. Sous le fin voile d'eau, je distinguai les deux trous, mal refermés, laissés par ses bras.

Poussée par je ne sais quel instinct, j'ôtai mes chaussures et me déshabillai. Entièrement nue, dans le beau soleil de février, à peine caressée d'un léger vent frais, avec un mélange de bravoure et de plaisir, je m'enfonçai dans la boue. En évitant de troubler l'eau, du mieux que je pouvais, je me suis doucement allongée sur le ventre. Instant plein du masochisme dont je sais faire preuve dans les grands moments de mon existence, je pris ma respiration et noyai mon visage dans le bourbier, bras tendus, là où le Père Mounier avait plongé les siens. Mon idée initiale était de vérifier s'il était aisé de s'extraire d'une pareille position. Tentant de prendre appui dans les profondeurs marécageuses, je constatai très vite l'impossibilité de me relever d'une simple poussée des bras. C'est à cet instant, que ma main gauche est tombée sur un amas, que je pris d'abord pour des végétaux, mais sa consistance me poussa à m'en saisir. Je me débattais, le temps passait, l'idée de me noyer à mon tour me gagna. Luttant contre une panique naissante, je roulai sur moi-même pour dégager partiellement un bras et reprendre de l'air. Faute d'appui, je roulai à contresens, jusqu'à la berge, pour, enfin, m'extraire du piège visqueux. Ma main n'avait toujours pas lâché sa trouvaille. Un tas de papier, légèrement cartonné, des photos couvertes de boue, dix, pour être précise. Sans prendre le temps de me rhabiller, je fis le tour de la mare, à la recherche d'un peu d'eau claire, pour y laver les épreuves. Mes mains, lâchèrent, raidies par l'horreur ; des tremblements gagnèrent mon corps maculé ; je tombai à genoux et me mis à pleurer.

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publication : 1 mars 2020
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