Le prêche du 6 juillet 2025
Prêcher dans le désert est-il un péché ?
Mes bien chères sœurs, mes bien chers frères,
Tous les matins, je me lève à l’aube, avec la lumière. Dans le cœur de l’été, il n’y a plus de poêle à ranimer, de chats à conforter, de froid à conjurer. Juste le silence d’une nature figée dans l’attente d’un jour encore trop chaud. Dans ces matins, j’affectionne particulièrement le silence, l’immobilité, la solitude. Autant d’expressions de l’indispensable vide dont se nourrit ma foi.
Les dimanches, c’est plus compliqué, j’ai un prêche à tomber. Mes démons s’agitent : « Ma fille, tu t’apprêtes, une fois de plus, à prêcher dans le désert. » Pour beaucoup, l’expression signifie une perte de temps, un monologue inutile. Pour moi, c’est un exercice de concentration, avec ce zeste d’insolence, si bon pour le teint. Un moment privilégié pour me moquer de l’immobilisme d’âmes trop soumises, désespérément molles ; c’est une colère bien sage, bien rangée dans les petites cases de la logique ; c’est un commentaire amusé sur l’inéluctable déclin d’une humanité totalement larguée. Mais où suis-je dans ce matin clairet ? Qui suis-je, pour oser ?
Pour être larguée, il me faudrait une attache à perdre ; je crois n’avoir jamais eu ce genre de chose ; je ne comprends rien à rien et n’ai que mes sens pour m’éclairer, m’éblouir. Ce n’est donc pas depuis un piédestal que je pérore, mais plutôt par en dessous.
En tant que Sœur Bertine, je défends aussi l’idée qu’il est nécessaire de se réapproprier tout un vocabulaire spolié par des facétieux. Et je ne suis pas seule. Voici un premier mot : le péché. À propos du péché, le bibliste nous dit : « C’est refuser d’inventer ce qui fait du bien aux autres et à soi-même. C’est un repli, dans une espèce de bulle personnelle, un isolement qui fait que la relation à Dieu et aux autres n’est plus possible. »
Ce n’est pas de moi, mais à part cette notion de Dieu qui frotte toujours un peu, je vis en accord avec cette définition du péché. Notez au passage que l’association diabolique des termes péché et sanction est une perversion intentionnelle introduisant la création des deux listes qui déterminent toute religion : celle des obligations et celle des interdits. En retirant les poils, il nous reste la carotte et le bâton. Tenons-nous bien droit.
En fait de péché, l’approche est plus subtile et sensible. Si sanction il y a, elle est implicite : c’est Bébert, qui, depuis que sa femme l’a quitté, rentre bourré tous les soirs, allume sa télé pour regarder des séries américaines en se tapant la malbouffe du désespoir ; c’est Simon, qui bosse comme un taré pour ne pas penser à autre chose ; c’est Jordan, qui milite dans un truc masculiniste à la con, en maugréant non-stop sur les femmes et toutes les sous-races qu’on lui désigne ; c’est Germaine, qui s’en veut d’être une femme ; c’est Farida, qui devrait en parler ; c’est Mathilde, qui ne croit pas beaucoup en ce qu’elle fait. Je vais m’arrêter avant de pleurer. Je pourrais y passer la journée, mais c’est moi qui tiens le bar ce matin.
Une litanie de pauvres gens qui vivent dans le péché de ne savoir faire le bonheur d’eux-mêmes, et puis un peu celui des autres, par voie de conséquence.
Mes bien chères sœurs, mes bien chers frères, prenez le temps de redéfinir dans la joie vos priorités, et ainsi vous prémunir du péché.
Sœur Bertine