Le prêche du 20 avril 2025
On fête la lumière, la renaissance de la nature après les longs mois d’hiver.
Mes bien chères sœurs, mes bien chers frères,
De tout temps, la semaine sainte est pour moi une épreuve, un grand écart mental.
D’un côté, la Passion du Christ est, pour moi, l’épouvantable rappel que la torture est au cœur de nos civilisations, que par elle les puissants dominent le monde, que par elle les plus humbles tremblent de n’être pas plus forts. C’est irrévocable, de toute éternité, quoi qu’en disent les suppôts de nos maîtres, l’homme est trop inachevé pour pouvoir s’élever de la fange dans laquelle il macère.
De l’autre, l’hiver se replie, la végétation se réveille, les oiseaux migrateurs reviennent chanter dans les frondaisons, ma Belle s’anime. Il y a comme une sorte de relâchement sublime à ne plus avoir froid dans chaque acte que nous accomplissons. La douche par six degrés, la planche glacée de ma paillasse, que mon corps ne parvient pas à réchauffer. Les tonnes de vêtements, de couvertures, de chaussettes épaisses par-dessus d’autres chaussettes épaisses, de mitaines trempées par inadvertance dans le jus de vaisselle.
Durant la semaine sainte, je regarde les vitrines s’emplir de victuailles. Il faut dire que je dispose naturellement d’une gourmandise de bon aloi. Alors, la Cène aidant, les premiers jours sont fastes. Puis vient la Passion, avec son goût de sang ajouté aux agneaux écartelés à l’étal des bouchers. Ça se complique pour moi, tout particulièrement avec ce vendredi évocateur de discipline, qui s’ingénie à me rappeler que la chair, sous toutes ses formes, a pour vocation de nous détourner de notre humilité par le luxe et la vanité. Et que la flagellation est une perversion. Je saute volontairement à pieds joints sur la crucifixion, elle se passe de commentaires.
Enfin, délivrance, la Résurrection, vient clore ce cycle sordide par une pirouette : le passage de la mort à la vie. Il y a beaucoup de littérature sur le sujet. Je vous conseille au passage le bouquin de René Girard : La Violence et le Sacré, ça recadre. Cette Résurrection, donc, est ce que j’appelle un point de récupération : Pâques s’est bâti sur des cultures païennes. Au printemps, comme nous ici au château, on fête la lumière, la renaissance de la nature après les longs mois d’hiver.
C’est sans doute un peu tard pour vous inviter à m’imiter, mais cette semaine, alors que je me morfondais à défendre ma foi, Aziz, Luciole, Mariana et Martin, mes quatre compères, n’ont fait que parler de bouffe. Alors, vendredi, je me suis dévouée. J’ai ramassé le pognon amassé pour les courses et je suis partie en ville. J’ai acheté deux kilos de lentilles et une poignée d’échalotes. J’ai déposé le reste de l’argent dans un foyer distribuant de la nourriture aux défavorisés, et je suis rentrée. Pour me faire pardonner, je vais leur jouer du boogie-woogie toute la nuit.
Mes bien chères sœurs, mes bien chers frères, comme vous, j’adore manger du mouton. Je lèverai donc mon verre, ce midi, à la joie, cet inaliénable artifice, source d’éveil.
Sœur Bertine