Le prêche du 4 mai 2025
L’objet de nos désirs n’est qu’un reflet de nos peurs.
Assez de prêches déprimants. En mai, fais ce qu’il te plaît – avec un petit chapeau sur le "î", c’est plus festif.
Là-haut, au château, c’est l’effervescence. Les floraisons s’enchaînent, les oiseaux s’enflamment, les rossignols gueulent toute la nuit, et les humains se matent.
Je pourrais vous décrire les forces luxurieuses en présence autour du brasero, sur fond de tournoiements de chauves-souris affamées. Mais j’ai un devoir de réserve sur les amours de mes proches. J’observe, et je me tais.
Dans cette belle langue qu’est le français, le mot amour sert à désigner mille sentiments qui n’ont parfois rien à voir entre eux.
L’amour que je suis censée ressentir pour Dieu a-t-il le moindre rapport avec mes intentions, lorsque, autour du feu, je reluque Misato, tournoyante, elle aussi, dans son kimono prune ?
(Bientôt, je vous donnerai à lire Tout de Go, ma dernière enquête, et vous comprendrez.)
Ce sentiment d’amour qui monte en moi à la vue des fleurs embrasées de son buste, de ce cou de déesse nippone couronné d’un chignon piqué de fleurs multicolores…
Ce sentiment d’amour, donc, cette invention française, c’est l’abolition des craintes, pour un temps, dans un espace donné.
Des amoureux se noient sans même s’en apercevoir.
Je conteste l’emploi du mot amour lorsqu’il est attribué au divin. Cela prête à confusion jusque sous les soutanes.
Et puis, à quoi bon ? Un tel sentiment n’intervient pas dans l’équation de la foi.
Au printemps, les instincts s’éveillent, les visions s’électrisent, les parfums emportent. Dans le même temps, la raison s’efface, les promesses s’étiolent, les peurs se dissipent, et les verrous cèdent.
Nos regards se croisent sur des mimiques de joueuses.
Lorsque je sens l’amour gagner sur mon peu de détermination, je pense à Clément et à son triangle infernal. Dans le projet d’exprimer mes désirs pour Misato sommeille un mensonge (voir prêche du 2 mars) : l’idée que je me fais de moi s’adresse à l’idée que je me fais d’elle.
Alors la question se pose :
Laisserai-je mes instincts bas se répandre dans ma chair sans lutter, faisant du respect de mes vœux un véritable combat ? Peut-être.
Mais si combat il y a, il n’est pas uniquement là.
Le raisonnement se retourne comme une chaussette quand je vois Luciole virevolter, elle aussi, dans les tendresses de mon médecin personnel – Celui-là même qui m’ausculte avec des pincettes, comme on manipule la braise sous la cendre.
L’amour est une joyeuse tranche de réel qu’on s’offre dans le dos de la camarde.
C’est donc une œuvre éphémère.
Tranche de réel, tranche de l’autre, exposition opportune et réciproque ; quelques fous se partagent un espace-temps réduit – un voyage des sens et des actes.
Mais si, une fois mes sentiments remis à jour par l’expérience, l’idée que je me fais de ma nippone n’est plus conforme aux attendus de l’idée que je me fais de moi ?
On a tous vécu ça.
L’autre n’appartient qu’à lui-même. Il n’est jamais qu’une projection de nos délires. Penser autrement revient à lui faire porter le poids de nos dysfonctionnements.
Et dans cette perspective, le diable sait se glisser dans nos tripes. Ma chérie prend son pied dans les bras d’un autre. Je le vois à la tronche réjouie qu’elle arbore à l’heure du thé.
L’objet de nos désirs n’est qu’un reflet de nos peurs, de nos frustrations. Je ne peux qu’admettre ses spécificités – ou m’éloigner. Jamais presser, manipuler.
Mes bien chères sœurs, mes bien chers frères, quand les senteurs printanières vous gagnent, souvenez-vous : nos amours ne peuvent être que des explorations consenties. Nous nous y croisons, au détour de nos brillances, au détour de nos faiblesses.
Sœur Bertine