Impair dans la boue Bertine : Brêve-14

Impair dans la boue Bertine : Brêve-14

Aimez-vous le vichy ? Luciole semble l'apprécier dans ce billet 14.

Où avais-je la tête ? Ce matin de printemps, le temps s'annonçait superbe ; aussi, je m'étais choisi une blouse mi-cuisses en vichy rouge. Une cotonnade délicate, défendue par six gros boutons de nacre. Je trouvais l'ensemble ravissant de naïveté et de fraîcheur champêtre. Heureuse et insouciante, tel le Chaperon rouge, j'avais rejoint l'office pour préparer des galettes à mes deux colibris. Pour mon malheur, ils descendirent bien avant mes ablutions matinales. Dans la farine jusqu'aux coudes, je ne pensais qu'à mon retard soudain, oubliant juste un détail : le vichy rouge avait le don de rendre Luciole complètement dingue. Au lieu de m'embrasser, elle a tourné bride en disant « j'reviens ». Martin et moi, nous nous sommes étonnés des yeux quelques instants, puis rapprochés afin de nous claquer une paire de corona-bises. Il arborait une splendide chemise noire, bouffante à souhait ; aussi j'écartai les bras en tendant le cou, pour lui éviter la farine. Chastement, il se courba en avant pour éviter le contact avec ma poitrine rendue saillante. C'est le moment que choisit Luciole pour revenir avec un appareil photo et immortaliser notre profil. En regardant son cliché, elle émit un avis des plus inquiétants :
- Top balaise ! Celle-là, je la vends.
Je ne pouvais pas laisser passer ça sans y mettre mon nez.
- Fais voir !
Luciole tourna vers nous le petit écran de contrôle de son reflex. Pas besoin de haute-def' pour apprécier l'ambiguïté comique de nos cambrures respectives. Du rouge, du blanc du noir, le vaisselier derrière, une composition parfaite. Pour le coup, la garce avait fait preuve d'un sacré talent. Un peu gêné par ce qu'il venait d'entrevoir, Martin s'éloigna du côté de la cafetière, je retournai sagement à ma pâte. Luciole, en pleine ascension émotionnelle, s'était remise à me mitrailler. Un peu inquiète, je tentai d'obtenir des confidences :
- Vous êtes descendus bien tôt, vous avez des trucs à faire ce matin ?
- J'ai un rendez-vous en vidéoconférence dans dix minutes, mais je n'en ai pas pour longtemps. Vous me gardez des galettes ?
- Évidemment. De toute manière, elles ne seront pas prêtes avant, maintenant que tu m'abandonnes avec Luciole dans les pattes.
Effectivement, elle se mit à m'accommoder de partout : une mèche rebelle par-ci, le bouton qui saute par-là, un rien de négligence dans le col ; l'affaire tournait à la séance de poses, au détriment de ma préparation. Pendant que je lui servais docilement sourires et grimaces à tout-va, Martin nous tournait le dos, concentré sur la confection de notre premier café de la journée. La manoeuvre achevée, il fila sans demander son reste, une tasse fumante à la main. Luciole interrompit ses opérations :
- Oh ! J'oubliais, tu as reçu un texto de Marie, elle voudrait que tu la rappelles ce matin, si possible.
- Elle veut quoi ?
- Aucune idée.
Disant cela, elle se pencha sur moi et fit péter un troisième bouton à ma blouse. Clic-clac, plongée indécente, la paparazzi repartait à l'assaut de mézigue.
- Tu comptes les vendre, celles-ci aussi ?
- Nan, c'est pour ma collection personnelle.
Je réussis tout de même à lui échapper et à finir ma pâte.
- Tu me donnes mon téléphone ?
- Bon, comme tu as été sage, le voici. Je monte chercher un truc, faut que tu voies ça.
Elle se trisse, je me reboutonne, sans oublier de pester sur ma bévue vestimentaire. Marie qui me cherche, tomberait-elle à pic ? Trois sonneries, une voix apeurée :
- Bertine ! Dieu soit loué.
- Bonjour Marie ! Vous me semblez bien accablée, que vous arrive-t-il ?
- Ma fille, Rose-May, je suis inquiète.
- Mais encore...
- Vous pourriez peut-être lui parler, elle semble vous apprécier, elle n'a pas arrêté de parler de vous, après votre venue.
- Marie, que se passe-t-il ?
- Depuis le début du confinement, elle vole de la nourriture, disparaît pendant des heures et n'écoute plus rien de ce que je lui dis. Maintenant, elle refuse de retourner à l'école. Bertine, je suis désolée de vous importuner avec ça, mais je ne sais plus comment m'y prendre avec cette enfant.
- Et Joseph, votre mari, qu'en pense-t-il ?
- Rien. Avec le confinement, il n'a plus de chantier, il reste prostré toute la journée. Depuis sa garde à vue, il n'est plus le même. Bertine, je vous connais, vous me comprendrez lorsque je vous aurais dit qu'il n'y a plus de prières aux repas.
Diantre, la prière d'avant repas, si je m'étais attardée là-dessus, j'aurais fondu en larmes. Vous n'avez pas idée de son effet sur un ventre vide ; après, la tête dans les étoiles, chaque bouchée devient don. Le mécréant n'a pas accès à ce genre d'émotions...
- Je vous comprends parfaitement, Marie. Vous pouvez compter sur moi, mais, dites-moi, fugue-t-elle toujours ?
- Oui, deux ou trois fois par semaine.
- Alors, voilà ce que vous allez faire : la prochaine fois que vous constatez qu'elle a disparu, appelez-moi, quelle que soit l'heure, je garderai mon téléphone sur moi. Promis ?
- D'accord. Je vous remercie, Bertine, quoi que vous fassiez, je vous serai toujours redevable.
- Ne vous faites plus de souci, je vais parler à Rose-May.
Je n'avais pas raccroché que Luciole arrivait, sa tablette en main.
- Figure-toi que j'ai mené ma propre enquête sur les Trois brigands. Je suis allée voir Albert, celui qui filme toutes les fêtes du village. Il était trop content de me les montrer. C'était chiant, mais on a siroté des laits-orgeat en les regardant.
Elle me colle d'autorité une vidéo sous le nez. On y voit des adultes qui picolent et des gosses qui rigolent. Il y a une sorte de concours, beaucoup d'enfants sont déguisés. Zappant au milieu de l'enregistrement, elle s'exclame :
- Regarde !
Effectivement, je distinguais trois chapeaux pointus à large bord sautant sur place. Dessous, trois enfants : deux grands, se tenant pas les mains, encadraient un plus petit. J'écoutai attentivement la comptine qu'ils chantaient:

Mon petit lapin a bien du chagrin.
Il ne saute plus dans son p'tit jardin.
Saute, saute, saute, mon petit lapin. (bis)
Danse, danse, danse, dans ton p'tit jardin.
Et dépêche-toi d'embrasser quelqu'un.

Ça se répétait, un paquet de fois... Malgré ça, gênée par l'ombre des chapeaux et la distance, je ne parvenais pas à identifier les gosses. Tout de même, les deux grands me semblaient plus en âge de faire du skate que de sauter sur place en chantant des comptines. Entre leurs bras, le petit tournait et sautait à son tour ; il semblait aux anges.

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publication : 24 mai 2020
L' Amicale De Bertine sur FaceBook : @ADBertine
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