Impair dans la boue Bertine : Brêve-13

Buvons, pendant que le Billet 13 nous ouvre la boite à biscuits.

Dans la mythologie occidentale, Adam et Ève vivaient nus au paradis. Pour les faire chier, en les chassant, Dieu leur inventa la pudeur et les revêtit d'une tunique. Depuis, l'on habille l'indigent avant de le nourrir. L'affaire « Noé vs Cannan » marquera une étape décisive dans le processus. Petit rappel, divagamment historique, sur la teuf qui suivit les premières vendanges d'après le déluge. Nu, complètement bourré, alors qu'il lutinait une servante, Noé fut surpris par Cham, l'un de ses fils. À ce point du récit, à quelques détails près, tout le monde est d'accord. C'est après que les versions divergent gravement. L'ensemble reste confus. Quoi qu'il en soit, l'affaire se compliqua au point que Cannan, fils de Cham, fût foutu à la porte avec toute sa smalah, alors que son père, déclassé, devenait esclave de ses deux frères. Par un prodige resté inexpliqué, il en devint noir de peau, ainsi que toute sa descendance. L'air de rien, l'anecdote venait d'inventer la notion de sous-races, si chère à notre civilisation. Depuis le déluge, domination et nudité se ménagent l'espace de nos existences. Le plus affolant vient de nous, de nos sens, de nos positionnements face au nu. Depuis l'exposition joyeuse de nos parures, jusqu'à notre nudité, celle des autres, plus ou moins consentie, il y a un océan de tempêtes.

J'en entends qui chuchotent dans le fond : « Elle a quoi, Bertine, aujourd'hui ? » Eh bien, je vous parle du moment très pénible où nous avons inventorié le contenu de la boîte à biscuits. Une centaine de photos imprimées, du même tonneau que celles extraites de la boue. Une tempête s'était justement levée à notre table. Je ne vais pas m'étendre sur la nudité infantile, surtout lorsqu'elle est perçue à travers l'obsédante subjectivité d'un pervers sexuel. Très vite, Luciole et moi avons perdu pied devant l'insoutenable. Martin, qui n'est pas légiste pour rien, s'est redressé, a rassemblé les photos pour les remettre dans la boîte, en a rabattu le couvercle et a lâché :
- Je vais prendre en charge l'autopsie de la Bretonne. Je vous rendrai mon rapport.

Quoi qu'on en dise, face aux situations bien dégueulasses, l'humour carabin reste le dernier rempart. Extraire toute la substance de ce contenu diabolique n'était pas à notre portée, l'homme aux dons cachés venait de nous enlever une grosse épine. Seulement, Luciole et moi, on en avait déjà trop vu. J'ai chopé la bouteille de rhum arrangé, rempli deux verres à ras bord, poussé le sien à Martin. Envahie de tics étranges, j'ai gloupsé le mien d'un trait. De son côté, après avoir roulé un pétard digne d'un 14 juillet, Luciole s'était enfermée, poings serrés, dans une bouderie silencieuse. Martin, sirotant avec précision son alcool, se raidit dans l'analyse. Il me posa des questions sur mes découvertes, histoire de se mettre à niveau. Déjà sujette aux méfaits de la boisson, j'y répondais du mieux que je pouvais. Il réfléchit un moment, puis demanda :
- Tu penses innocenter le vagabond avec ça ?
- Oui.
- Mais tu ne veux pas dénoncer le coupable, c'est ça ?
Je bredouillais en retour un « Oui » à peine audible.
- Pardonne-moi, depuis que j'ai retapissé les coupables, tout est devenu affreux...
- « Les coupables » ? Tu penses qu'ils sont plusieurs ?
- Je ne pense pas, je sais. Je vais me bourrer la gueule. Tu me ramasseras ?
- Sans problème.

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publication : 17 mai 2020
L' Amicale De Bertine sur FaceBook : @ADBertine
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